lundi 9 avril 2018

Heinrich Böll, Portrait de groupe avec dame

Référence : Heinrich Böll, Portrait de groupe avec dame, éditions Le Seuil, traduction S &G de Lalène, 362 pages, 1973 pour la version française 

« J'ai essayé de décrire, ou d'écrire le destin d'une femme allemande qui approche la cinquantaine, et qui a eu à porter tout le poids de cette Histoire entre 1922 et 1970. » Heinrich Böll, interview 



Léni Pfeiffer, née Gruyten, 48 ans, qui « mesure 1,71 et pèse (en négligé) 68,800 kg… Son épaisse chevelure lisse et blonde, à peine grisonnante, qu’elle laisse flotter sur ses épaules, la coiffe comme un casque doré. » Elle exerce sur son entourage une  indéniable attraction. Mais on peut se demander qui se cache vraiment derrière ce beau portrait.

Pour en savoir plus, Heinrich Böll (1917-1985) entreprend alors de cerner sa personnalité en enquêtant auprès de tous ceux qui la connaissent ou l’ont plus ou moins connue. Derrière le puzzle de Leni qui se forme peu à peu, se profile aussi une peinture de la société allemande de l’époque wilhelminienne [1] aux années 60.

Parmi tous les témoins qui jalonnent le récit, certains sont plus ou moins fiables, savent peu de choses comme les docteurs Erhard Schirtenstein et Scholsdorff, mais quelques-uns comme ses amies Lotte Hoyser, Marja von Doorn ou Margret  Schlömer sont indispensables pour tenter de décrypter la complexité de Leni. D'autres encore l'ont bien connue à certaines périodes de sa vie comme sœur Rachel, ses collègues de travail à la fabrique de décors funéraires où elle connut Boris ou bien sûr des membres de famille, son frère Heinrich Gruyten ou son cousin Erhard Schweigert.

          
Portrait de groupe avec dame                                                   Böll en uniforme

« Il ne s'agit pas d'une réaction consciente en écho à la littérature documentaire, mais d'une tentative d'ajout, l'idée présomptueuse que la littérature au sens commun du terme est…, enfin qu'avec la littérature, on peut très bien documenter quelque chose. »  Heinrich Böll, interview 1971

   

Après une éphémère liaison amoureuse qui l’a marquée, Léni épouse le sous-officier Aloïs Pfeiffer, qui trois jours plus tard, meurt sur le front oriental. Pendant la guerre, sa famille connaît des revers de fortune, son père est condamné à perpétuité et sa mère en meurt de chagrin. Dans le magasin où elle travaille, elle tombe amoureuse d’un russe prisonnier de guerre nommé Boris Koltowski. Mais, porteur de faux papiers, il est arrêté et meurt un peu plus tard dans un accident minier en Lorraine. Léni s’occupe de leur fils Lev qui devient  éboueur et est condamné à une peine de prison pour avoir voulu aider sa mère qui louait illégalement des pièces de sa maison à des travailleurs immigrés.

Parmi ceux-ci, Leni a une liaison avec Mehmet Sahin dont elle sera bientôt enceinte. Seule une mobilisation d’un comité de soutien évitera à Leni d’être expulsée. Cette relation avec Mehmet ne plaît pas à tout le monde, comme en son temps sa relation avec Boris, reprochant à Leni sa préférence pour des personnes étrangères que certains voudraient marginaliser.

Sa vie… elle fut contrastée, pas très heureuse en somme.
Elle ne sera guère aimée, finalement toujours en marge du conformisme et de la morale de son temps. C’est sans doute pourquoi elle fut pour beaucoup une figure fascinante, faite d’ombre et de lumière avec toujours ce sentiment de différence qui fait tout son attrait et en même temps la distingue, la sépare des autres.

« La littérature n'est pas convaincante lorsqu'elle est fidèle à la réalité, mais lorsqu'elle correspond à une vérité supérieure. C'est cette vérité qui est morale. » Heinrich Böll à propos de son roman La Grimace.
     
Avec Alexandre Soljenitsyne                         Avec Günter Grass


Comme souvent dans ses romans, Heinrich Böll présente "l’esthétique de l’humain" à travers la relation à l’autre. Hélène Maria Pfeiffer (Léni) est la figure de cette humanité que Böll a développée aussi dans ses cours à l’université de Francfort-sur-le-Main, une femme volontaire et autonome qui évolue souvent dans un univers hostile.

Cette femme énigmatique fut aussi magnifiquement incarnée à l’écran par Romy Schneider qui sut faire ressortir  toute l’ambiguïté d’un personnage modelé par un parcours tortueux.

Notes et références
[1] L'époque wilhelminienne (de Wilhem ou Guillaume) s'étend de 1871 à 1918, incluant les règnes des empereurs Guillaume 1er, Frédéric III et Guillaume II.



Voir aussi* Günter Grass Itinéraire -- Le Turbot -- Heinrich Böll --
* Les écrivains de langue allemande --

<< Christian Broussas – Heinrich Böll - 08/04/2018 - © • cjb • © >>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire