Margrethe Vestager, « dame de fer de Bruxelles » et bête noire de la Silicon Valley

Cette femme politique danoise s’est fait connaître en combattant notamment les géants du Web à la Commission européenne...
      
La commissaire européenne Margrethe Vestager le 7 décembre 2016 à Bruxelles

Elle est surnommée la « dame de fer de Bruxelles ». Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, est l’une des principales personnalités de l’exécutif de l'Union européenne mais reste peu connue en France. C’est dommage car elle représente le type de politique qui ne transige pas sur l’application de la législation européenne.

Elle réclame 13 milliards d’euros à Apple
A l’été 2016, l’UE demande à Apple de rembourser plus de 13 milliards d’euros à l’Irlande, où l’entreprise californienne a installé son siège européen en 1980. En effet, l’État irlandais ne soumettait pas l’entreprise au taux d’imposition sur les sociétés (déjà plutôt avantageux, à 12,5 %), mais à un taux bien moindre, et ce depuis 1997.

L’information est fort mal reçue dans la Silicon Valley. Le patron d’Apple se répand dans la presse contre « une décision politique basée sur aucun fait ni aucune loi ». (ce qui est une contre vérité). Avec cette sanction historique, la quadra Danoise est mise en lumière et fait la une des médias.

Le Bureau européen des unions de consommateurs (le BEUC) salue son courage : «Elle n'a pas peur de l'industrie, elle ne se laisse pas influencer par les lobbies d'arrière-garde. Almunia, son prédécesseur, était tout près de valider un accord à l'amiable avec Google, malgré l'insuffisance patente des changements de pratiques proposés par l'entreprise. » Comme l'a noté Frank Montag, expert mondial du cabinet Freshfields, « elle a une formation en économie, elle va directement au but, très à l'aise. Elle parle aisément sans note. »

Nommée commissaire européenne en novembre 2014, elle intervient dans le domaine du pénal, sanctionnant les abus de position dominante, les cartels, les aides d’État jugées abusives ou illégales (comme celle accordée par Dublin à Apple), validant ou stoppant certaines fusions-acquisitions. 


Margrethe Vestager, alors ministre de l'
Éducation, en novembre 2000, avec l’américain Richard W. Riley à Washington.

Un combat de longue haleine s’engage alors, pas toujours couronné d’un succès immédiat bien sûr car le chemin est long et semé d’embûches : le fisc irlandais n’a toujours pas réclamé son dû à Apple, dix mois après la date butoir fixée par Bruxelles. Mais Margrethe Vestager ne s’avoue pas vaincue. « Elle est opiniâtre et déterminée », souligne le commissaire européen Pierre Moscovici, qui travaille au même étage qu’elle à Bruxelles.

Sa notoriété s’est traduite par exemple par l’ouverture d’un compte Twitter parodique qui représente la commissaire européenne sous les traits d’une reine viking en croisade contre la fraude et l’évasion fiscale, et la surnomme la « reine d’Europe ».
Il faut dire que son tableau de chasse est impressionnant : elle a sommé Amazon de rembourser 250 millions d’euros d'« avantages fiscaux indus » au Luxembourg, a infligé une amende de 2,42 milliards d’euros pour abus de position dominante à Google (un record pour l’UE) et a sanctionné cinq entreprises européennes membres du « cartel des camions » ou encore le groupe russe Grazprom.

« Elle répare et je prépare », commente Pierre Moscovici. A elle la traque secrète des entorses aux règles de la concurrence, à lui la préparation d’une « législation européenne future qui évitera de tels abus ». Un tandem de choc  qui dépoussière l’image de l’institution européenne.

Nommée ministre à 29 ans
A 49 ans, Margrethe Vestager a une carrière politique d’une trentaine d’années à son actif. Fille de pasteurs, elle devient ministre de l’Éducation et des affaires ecclésiastiques du Danemark à seulement 29 ans. Neuf ans plus tard, elle prend la tête du parti social-libéral danois (RV). Puis elle devient ministre de l’Intérieur et de l’Économie à 43 ans.

           
Margrethe Vestager et Helle Thorning
L'actrice danoise Sidse Babett Knudsen dans la série Borgen


Elle a inspiré la série Borgen
Son ascension politique a inspiré le personnage principal de la série à succès Borgen à son scénariste Adam Price. Sidse Babett Knudsen, l’actrice qui l’incarne a d’ailleurs suivi Margrethe Vestager lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur et de l’Économie pendant une journée pour mieux cerner le rôle qu’elle devait interpréter.

             
       La reine du tricot                                      En visite au Portugal 


Fan de tricot, elle transporte ses aiguilles et ses pelotes avec elle, même dans son bureau à Bruxelles. « Il paraît que vous tricotez volontiers, » lui demande-t-on dans une interview. Elle exhibe celui qu’elle a commencé et répond : « Oui, en déplacement, ou même en réunion, quand je ne dois pas prendre la parole ou animer. J'écoute très bien quand je tricote. Certains griffonnent, moi je tricote. »

Son collègue le commissaire et ancien ministre Pierre Moscovici commente : « C’est une collègue très agréable, qui ne manque pas d’humour ». S’il fait bon travailler avec elle, elle n’en demeure pas moins « précise, ferme, très sereine. Elle représente bien le Danish way of life (l’art de vivre à la danoise) : elle est directe, simple et calme ».



Des moments difficiles, elle en connaîtra à ce poste si exposé. Elle va sans doute subir la pression de la France et de l'Allemagne pour tenter de réguler en amont les grandes plates-formes Internet. Si Margrethe Vestager se montre intransigeante envers Google, elle sera fortement critiquée par les Américains. Mais si elle se montre trop accommodante, on l'accusera d’être beaucoup trop bienveillante.
Le quotidien d'un commissaire européen.


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