jeudi 24 août 2017

Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel

Référence : Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel, éditions des Équateurs/France inter, 148 pages, 2017

« Dantesque, kafkaïen, sadique, machiavélique, c’est un douteux privilège que de baptiser de son nom une angoisse collective. » Dans son dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert place Machiavélisme, « mot qu’on ne doit prononcer qu’en frémissant » avant Machiavel, « ne pas l’avoir lu mais le regarder comme un scélérat. » Mais le beau renouveau de la Renaissance, s’interroge Patrick Boucheron, n’est peut-être qu’une « mise en scène parodique d’un passé fantasmé ».

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Le Prince en est un bon exemple, « on s’accroche parfois à certains livres comme à des bouées. Quand tout change autour de soi, ils surnagent, se signalent à notre intention pour éviter le naufrage… Ils furent les alliés fidèles de ceux qui cherchaient à comprendre leur dérive politique. »    

En fin de compte, à qui s’adresse son essai ? Réponse chapitre 15 : « Mon intention est d’écrire chose utile à qui l’entend. » Son intention est de décrire le plus exactement possible les situations et laisser au lecteur le soin d’en tirer ses conclusions. Pour parler des puissants, il utilise la fable du Renard et du Lion : tantôt l’un, tantôt l’autre, "ils savent faire la bête", « car le lin ne se défend pas des pièges, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups. »

Sa méthode s’apparente au travail de l’ingénieur, tel qu’il a pu voir à l’œuvre un Léonard de Vinci ou l’endiguement de l’Arno qui débordait et menaçait de noyer Florence : retenir, contraindre, soulager… bref gouverner en y mettant toute « la vertu politique » nécessaire.

Un été avec Machiavel par Boucheron            Résultat de recherche d'images pour "Patrick Boucheron, photos"

Si la parution du Prince lui apporte une certaine notoriété, elle ne lui permet pas de rentrer en grâce auprès de Julien de Médicis, les Médicis qui dirigent de nouveau Florence sous la houlette du pape Léon X. Il obtient au moins le succès au théâtre avec sa pièce "La mandragore", [1] satire où sous des dehors de comédie reposant sur la dissimulation, des faux-semblants et les apparences, se retrouvent les thèmes du Prince, la faillite des puissants et l’abaissement de Florence.

Sur l’art de gouverner, Machiavel sépare la science de l’État que maîtrisent le prince et ses conseillers, leur connaissance des passions sociales qui remuent le peuple et la réalité de leur pouvoir que comprennent ceux qui le subissent, car « le peuple connaît ce qui l’opprime. »

C’est dans son Discours sur la première décade de Tite-Live qu’il développe ce genre d’idées. [2] Il essayait ainsi de corriger le présent par l’intelligence du passé, persuadé que le peuple peut se gouverner lui-même, rendant possible l’instauration de la République. Il sait au moins ce qu’il ne veut pas : se laisser dominer. [3]

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Un été avec  Montaigne       Un été avec Proust            Un été avec Baudelaire

 

« Gouverner, écrit-il, c’est agir dans l’aveuglement de l’indétermination des temps. » Autrement dit, quand on agit, la fin n’est jamais connue et on ne peut ainsi jamais justifier des moyens utilisés. 

Il développe L’art de la guerre dans son seul essai anthume, [4] où pour lui la violence est au cœur des choix politiques. Constat amer qui s’avère pourtant stratégique. Dans ce cadre, la paix se définit comme une violence en puissance qui doit rester une menace n’ayant nul besoin de s’exercer, ce qu’on appellerait au XXème siècle la dissuasion.
 En 1520, l’Académie de Florence lui confie le soin d’écrire une Histoire de Florence. Tâche bien risquée pour un homme pris entre historiographie et contestation. Il lui faut ruser, [5] élever le débat, présenter les forces en présence à l’intérieur de la cité et leur impact sur l’avenir de Florence. [6]

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Notes et références
[1] Voir aussi sa pièce Clizia écrite en 1525, qui met en scène les amours d’un homme d’un âge avec des jeunes filles qui n’ont pas froid aux yeux.
[2] Extrait de la dédicace au Prince :
« Comme ceux qui dessinent les paysages se placent en bas de la plaine pour considérer la nature des montagnes et des lieux élevés et, pour considérer des lieux bas, se placent en haut des montagnes, de même pour bien connaître  la nature du peuple, il fut être prince et pour bien connaître celle des princes, il faut être du peuple. »
[3] Extrait du Prince, chapitre 8 :

« Dans toute cité, on trouve deux humeurs différentes, et cela vient de ce que le peuple désir ne pas être commandé ni opprimé par les Grands ; et de ce que les Grands désirent commander et opprimer le peuple. »
[4] L’Art de la guerre s’achève sur cette note :
« Nos princes pensaient qu’il leur suffisait d’imaginer dans leur cabinet une brillante réponse, d’écrire une belle lettre, de montrer dans leurs paroles de la subtilité et de l’à-propos, de savoir ourdir une ruse, de s’orner d’or et de joyaux, de dormir et de manger plus richement que les autres… »
[5] Extrait d’une lettre à son ami Guichardin de 1521 :

 « Depuis quelque temps, je ne dis jamais ce que je pense, ni ne pense jamais ce que je dis et, si je dis parfois la vérité, je la cache parmi tant de mensonges qu’il est difficile de la découvrir. »
[6] Témoin sa relation de la révolte ouvrière des Ciompi en 1378 où il donne la parole à un émeutier.

Voir aussi ma fiche Un été avec Baudelaire --

<< • Christian Broussas –Machiavel - 21/08/2017 • © cjb © • >>

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